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07/09/2018

Dérive de blanc




Léonard Tsuguharu Foujita, Femme allongée, Youki, 1923, huile sur toile, 50 x 61cm, collection particulière © Fondation Foujita / ADAGP, Paris, 2018




Dans son regard de ciel, dans cette immensité de temps sans début ni fin, une histoire à peine esquissée pour nous laisser le temps du rêve.

Le retirement
le profond des abysses
un cri d’absence

La femme nuages, peut-être une chimère, nous livre par ses yeux la parole sans tain du silence. Impossible de s’exfiltrer, tout est poids dans cette légèreté.

Une colombe
l’esprit insaisissable
dérive de blanc

©AdamanteDonsimoni (sacem)


13/07/2018

Les larmes du jardinier



Illustrations Adamante



Un matin, il y a de ça fort longtemps, un jardinier avait brûlé les herbes de son vieux jardin, il avait décidé de le refaire, plus beau, plus harmonieux, afin d’y finir ses jours.  Il ne restait plus que de la cendre sur la terre.
Satisfait de son travail, il s’était mis à réfléchir devant cette étendue vierge et prometteuse.
Quel aspect aurait donc le nouveau jardin qu’il allait planter là ? Il ferma les yeux et se mit à rêver.
Il échafauda des plans, modifiant à l’envi dans son rêve, le parcours d’une allée, l’emplacement d’une tonnelle où goûter l’ombre l’été, celui d’un bassin où nageraient des poissons plus merveilleux les uns que les autres et où viendraient boire les oiseaux…
Il souriait, s’imaginant se promener dans ce parc enchanteur et changeant sans cesse la disposition des plans pour atteindre la perfection.

Mais pendant qu’il rêvait, pendant qu’il faisait et défaisait ses plans, les ronces, toujours promptes à envahir les espaces abandonnés, proliférèrent tant et tant qu’on ne vit plus un seul espace de terre vierge.

Un jour, en sortant de son rêve, car il faut bien que les rêves aient une fin, le jardinier découvrit son jardin mangé par les ronces et les mauvaises herbes.
Éploré devant un tel malheur, il se mit à gémir, il avait fait tout ce travail pour rien, pour avoir pire qu’avant. Il avait détruit un beau jardin et l’avait offert en cadeau aux ronces.

Il découvrit son jardin mangé par les ronces

Alors il se mit à le regretter son vieux jardin imparfait. S’il n’avait pas été pris de cette folie de détruire, il aurait pu maintenant se reposer à l’ombre des forsythias, il aurait pu écouter chanter les oiseaux dans un décor enchanteur et profiter de ce lieu pour y reposer sa vieillesse… Car il avait beaucoup vieilli. Les rêves, ça prend du temps si l’on n’y prend garde.
Ses larmes se mirent à couler, à couler et plus elles coulaient, plus son vieux jardin lui paraissait plus beau et plus il en avait de regret. Il fut pris de désespoir devant tant de beautés perdues, ses larmes nourrissaient ses larmes, elles étaient intarissables. Elles ruisselaient sur la terre et plus elles ruisselaient plus le roncier assoiffé proliférait. L’espace qu’il occupait devint impraticable, c’était une forêt plus impénétrable que celle qui entourait le château de la Belle au bois dormant. 
De ruisseau, ses larmes devinrent un fleuve, le fleuve à son tour devint une mer, une mer salée comme les larmes et le jardinier désespéré, affaibli, un soir de pleine lune, fut emporté par une vague.

Ses larmes se mirent à couler, à couler...

Jamais personne ne le revit, il s’était sans doute noyé dans son chagrin. 

Voilà pourquoi, quand on raconte son histoire, comme je vous la raconte maintenant, à la veillée, à l’heure où les ombres dansent menaçantes sur les murs, on conseille à ceux qui écoutent et qui rêvent de toujours garder un œil ouvert.

Que ce conte vous fasse un heureux jour.

©Adamante Donsimoni (SACEM -  SACD)

24/06/2018

Trois jours, trois ciels…




Mercredi 20 juin 2018

Je me lève, mes pantoufles épuisées longent le corridor, débouchent au radar dans le salon. La lumière du Sud succède à l’ombre. Je lance un regard voilé vers l’extérieur et brusquement je me souviens : la consigne !  Ce matin et durant trois jours, je me le suis promis, je dois regarder le ciel, le raconter !
Je m’approche de la fenêtre et observe. Pas un seul nuage, là-haut tout  n’est que brume violette parfaitement homogène ; pas une seule traînée d’avion, pas un stratus pour interrompre la beauté de cet océan pourtant trompeur. Non ce n’est pas ici l’augure d’une immensité ruisselante de soleil. L’eau se cache partout dans les hauteurs, elle se révèle par l’absence de transparence et cette couleur violine née de la lumière fusant au travers d’innombrables particules de vapeurs humides. Les bruits eux-mêmes sont étouffés. Un chien aboie, un enfant pleure, la porte métallique du portail claque en se refermant tandis qu’une mobylette, sans doute dressée sur la roue arrière, s’époumone à rêver de vitesse en trimbalant son bagage humain. Rêve-t-elle de le jeter, comme on se débarrasse d’une mouche d’un geste machinal ou, comme un chien libérant son résidu de gamelle, au beau milieu du trottoir ?
Je ne cherche pas à savoir. L’idée d’un café s’impose, m’extrait de ma torpeur et fait se diriger mes pas vers la cuisine. Un peu plus alerte, les papilles frémissant déjà de ce petit plaisir quotidien, je salue le jour par le chant de l’eau dans la bouilloire.


Jeudi 21 juin 2018

Aucune luminosité à travers les persiennes de la chambre ce matin. Le ciel chargé de masses menaçantes n’incite pas sortir et pourtant, il le faudra bien, j’ai rendez-vous. Je me hâte. Une radio éructe un rap tonitruant au passage d’une voiture puis le calme revient, ce n’était rien d’autre qu’une petite vomissure de la rue, une révolte en décibels pour vider le malaise, rien qu’une petite impuissance.
Les arbres se réveillent, ils frémissent et chantent leur chanson d’arbre. C’est la chorale du vent qui accompagne le grand ménage céleste. Nimbus et cumulonimbus s’enfuient. Ils iront un peu plus loin décharger leur trop plein, vomir eux aussi leur excès climatique.  Moi, dès à présent, je peux sortir sans parapluie.


Vendredi 22  juin 2018

Petit soleil dans la fraîcheur du matin, le jour sourit et s’amuse à dessiner de longs doigts blancs sur le bleu tendre du ciel. Un grand troupeau de moutons chemine doucement sur les plaines de l’azur, peut-être guidé par un Petit Prince devenu berger, qui sait ? Tout est douceur, je ferme les yeux, j’oublie tout, plantée dans mon salon, à rêver de rien.  Mais mon chat lui n’oublie pas, il a faim, il miaule, dressé sur ses pattes arrière il m’implore en joignant ses pattes avant de façon répétitive.
Je te laisse Petit Prince des nuages, c’est l’heure de la gamelle et tu le sais, un chat, ça n’attend pas.

©Adamante Donsimoni (sacem)

14/06/2018

Jour de lessive au soleil


  
La lessive se balance au vent, sous le soleil, dans cette campagne où les grillons oublient trop souvent de chanter depuis quelques temps.

Caresse du vent
sur les herbes esseulées
mon voisin chante

Comme ils sont gais ces vêtements aux couleurs d’un coucher de soleil, séchant sous le pommier. Ils me parlent de l’été, du voyage, de la lenteur, de la langueur.

Ma pensée chemine
mon regard se retire
un volet claque

Ici, il fut un temps où les vacances bourdonnaient d’abeilles, de chant d’oiseaux. Et l’incessante stridulation des élytres tentait de couvrir la voix de ma mère me criant de mettre mon chapeau.

J’ai toujours sept ans
dans mon cœur de soleil
le vent me nargue

Dansez pour moi habits colorés de juillet, ravissez mes yeux de vos élans retenus par les cintres. Il y a en vous une envie d’envol et en moi le désir de vous suivre, sans but, comme on suit un parfum sur une aile de papillon.



 
Photo adamante D





07/06/2018

Bonjour, poète


Image Jamadrou











Bonjour, poète,

Le parfum de vos fleurs a traversé l’espace et le temps. Qui sait ce qui nous sépare, vous dans votre passé et moi dans mon présent ? Vos mots sont venus jusqu’ici pour embaumer le lieu où je lis.  Au travers de vos phrases, je perçois ce printemps, pas totalement oublié, qui vous fit penser qu’un jour, si éloignés de vous alors, d’autres liraient vos vers. Je suis au rendez-vous, je respire votre joie, je la fais mienne, et mes mots à leur tour coulent vers l’inconnu.
Quelques lettres, quelques phrases avalées par l’espace qu’il recrachera peut-être, qui sait, un jour plus qu’incertain, au regard d’un hypothétique lecteur. Qu’importe ! Les mots se donnent sans but, tant mieux si quelqu’un les lit, tant pis si ce n’est pas le cas, car tout cela n’est que passage. L’oubli, le vide sont au bout de ce chemin où tout converge et se retrouve.
Nous voilà compagnons de route, poète, sur le sentier des pages qui se tournent et nous emportent loin, là où le temps s’efface pour laisser place au sentiment, à la couleur, à la pensée furtive, glissant sur un rayon de soleil ou s’envolant sur un parfum. Tout est à la fois fugace et intemporel.
Vous êtes-là et ce n’est pas une illusion, certes un souffle nous sépare, mais, je n’en doute pas, ce même souffle nous unit.
Vous êtes si proche dans l’invisible, poète, quand je vous lis à haute voix ces mots qui vous sont destinés, offerts en remerciement de cette cueillette parfumée.
Vos fleurs, sachez-le, ne faneront jamais.

Adamante Donsimoni
En réponse à un poème de Rabindranath Tagore :


Tagore - Image BNF

" Qui es-tu, lecteur, toi qui, dans cent ans, liras mes vers ?
Je ne puis t’envoyer une seule fleur de cette couronne printanière, ni un seul rayon d’or de ce lointain nuage.
Ouvre tes portes et regarde au loin.
Dans ton jardin en fleurs, cueille les souvenirs parfumés des fleurs fanées d’il y a cent ans.
Puisses-tu sentir, dans la joie de ton cœur, la joie vivante qui, un matin de printemps, chanta, lançant sa voix joyeuse par-delà cent années." Rabindranath Tagore



28/05/2018

Une envie d’orage


Le vent se lève, s’enfle, descend vers la maison.
Les volets claquent, les carillons chinois se mettent à chanter. Les herbes se courbent, les rosiers s’agitent, la campagne tout entière ondule. Tout s’enroule, se déroule, se cabre et s’agenouille, ballet contemporain de retenues et d’explosions.
Immobile, j’accueille la chaleur de ses caresses dans le soleil du soir et, dans cette torpeur exaspérante des corps terrassés par l’attente, monte en moi une envie d’orage.

Adamante Donsimoni (sacem)




17/05/2018

Fusion cosmique



Détail de la bannière de Mawangdui


Fusion cosmique

Danse des corps dans l’espace, l’Univers contient tout. Dans la vibration intemporelle, l’osmose se dit dans la lenteur, le souffle est là.
L’union est un rayonnement, une fusion cosmique totale. C’est le chant des cellules ouvertes sur l’indéfini, la respiration des sphères parcourant le monde originel où l’ascension brûlante de se réaliser, arrivée à l’apex de sa trajectoire, s’accorde de redescendre pour accepter le froid.

yin yang, l’eau, le feu
enchaînement des sphères
le lâcher prise

©Adamante Donsimoni (sacem)






 

26/04/2018

Le marionnettiste


 Photo Carine Noushka (toutes les photos de son journal facebook dont cette série sur l'Euplecte à croupion jaune)

 
Il était une fois, l’autre côté du miroir.
Les herbes poudrées de rose, de violet m’avaient entraînée ce jour-là, jusqu’au ravissement. J’avais perdu tout sens commun, je découvrais l’invisible.

Un elfe d’herbier
dansait pour un oiseau noir,
leçon de charme

L’oiseau s’était arrêté comme s’arrêtent les oiseaux quand ils sont fatigués de voler, sur la tige d’une plante sèche. Très concentré, il regardait l’elfe d’un œil attentif.

Dialogue muet
entre la terre et le ciel,
une vibration

Ces deux-là me semblaient complices, comme peuvent être complices ceux qui échappent à la menace humaine, du moins pour un instant.

Un instant, un seul
et le temps s’éternise,
tout est si léger.

Le souffle chaud du vent que l’on devine balaye les certitudes. Il ne reste plus rien que l’imaginaire en action, les profondeurs créatrices d’un cœur ouvert sur l’oubli de soi.

Là, derrière l’oiseau,
une silhouette d’enfant,
une apparition.

C’est le marionnettiste des hautes herbes. Penché vers le sol, il fait danser les elfes du grand herbier de la Terre quand les oiseaux sont tristes. Quelle nostalgie dans l’œil de ce petit oiseau marqué de jaune sur le dos.

Sur sa livrée noire
est inscrit le doigt du Soleil,
la distinction d’un Dieu.

Tout en lui est tendresse. Il rayonne d’un amour dont l’unique et impérieux besoin est de se donner, sans attente, sans espoir de retour, nécessité de célébrer la vie tout simplement.  Et, pensant à la dérive humaine de ne donner d’importance qu’à l’économie et aux marchés financiers, en le regardant, je me demande si pour la Terre l’espoir nous est encore permis.

L’amour d’un oiseau
le doux murmure des herbes,
un souffle, la vie.


©Adamante Donsimoni (sacem) 

30/03/2018

Alep


Alep
Quand il ne reste plus rien que poussière et murs écroulés sous la voix des bombes ; que la vie se teinte du gris de la cendre quand elle se mêle au sang ; quand l’enjeu des puissants est trop important pour qu’ils laissent la vie sauve à des innocents, plus mal lotis que des rats que l’on gaze pour les éradiquer, seule la musique peut s’élever des décombres vers le ciel.
 
Alep
Un ange révélé par quelques notes, écrites de toute éternité pour emplir le vide et libérer l’âme, s’est envolé vers les étoiles. Espoir de renouveau. 
Il est des fleurs qui poussent sur le granit.
 
Alep
Sous l’œil du photographe.
Un vieil homme solitaire, impuissant, pris de musique dans son univers dévasté, témoigne au monde entier la folie et l’espoir.
 
Alep
Monsieur Anis, c’est vous, le symbole de la lumière du monde.
 
 
Adamante Donsimoni (sacem)
 
 
"Il y a des hommes, des rêves, et des objets plus forts que la guerre, et Mohammed Mahiedine Anis, sa collection de voitures anciennes, sa pipe et son phonographe, en font partie", écrit Joseph Eid, photographe à Beyrouth, en reportage en Syrie. 
 
 
 
 
 
 
 

22/03/2018

Des chaussures pour mémoire


Doris Salcedo  Atrabiliarios, 1992-2004, chaussures, mur, bois, fibres animales
Musée d’Art contemporain de Chicago - Détail -

Chaussures exposées dans une galerie d’art,  façon organdi et papier de soie.
Un flot de silence s’élève, brise l’anonymat,
Le cri minéral de  l’absence rebondit sur le blanc des murs.

Sur la pointe, comme les chaussons d’une étoile.
Sur la pointe, comme pour se hisser vers les lumières de la nuit, immense.
Sur la pointe, pour ne pas oublier et offrir au regard un soupçon de grâce bordé d’épines,
Des escarpins se racontent.

Combien de Cendrillons ont perdu leurs souliers ?
Combien de Cendrillons  ont perdu leur visage, lacéré, un jour si différent des autres et qui n’aurait pas dû ?
Combien de  Cendrillons pour combien de souliers ?
Combien de souliers pour savoir qui ? Pour briser l’attente, insupportable ?

La terre a bu le sang,
La terre boit toujours le sang.
La terre, comme toutes les mères dans la nature lèche les plaies de ses petits,
Quand le cœur se brise en un dernier hoquet et que le corps vaincu s’effondre,
Digue rompue,  avec le sang la vie s’enfuit.
Comme il est lourd le ciel, du premier au dernier rayon du soleil, sur la terre en deuil.

Ici sur la pointe, combien de souliers ?
Ailleurs sur la terre ou bien dedans, combien de Cendrillons ?

©Adamante Donsimoni (sacem)

Doris Salcedo  Atrabiliarios, 1992-2004, chaussures, mur, bois, fibres animales
Musée d’Art contemporain de Chicago

Dans les années 1990 marquées par la guerre civile, des Colombiens s’opposent fermement au gouvernement corrompu et aux cartels de drogue tout-puissants. La réponse de ces derniers est glaçante : des villages entiers sont décimés.

Au cours de ses recherches, Salcedo réalise que ces meurtres violents visent bien souvent des femmes, presque toujours défigurées par leurs ravisseurs.
Leurs chaussures sont parfois le seul moyen d'identifier les corps.



Doris Salcedo, plasticienne, née en 1958 à Bogota, en Colombie
L'artiste  transforme les objets pour qu'ils passent de l'utilitaire au symbolique. Elle ne se montre que très peu et n'aime pas s'afficher.
“J’aimerais m’effacer”, a-t-elle expliqué lors d’une conférence donnée le 6 novembre 2006 au Musée national de Colombie. “ Cela ne m’intéresse pas d’être une figure médiatique.  Je ne raconte pas mon expérience personnelle ; ce qui m’arrive à moi est dénué d’intérêt.”