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Doris Salcedo Atrabiliarios, 1992-2004, chaussures, mur, bois, fibres animales
Musée d’Art contemporain de Chicago - Détail - |
Chaussures exposées dans une
galerie d’art, façon organdi et papier
de soie.
Un flot de silence s’élève, brise
l’anonymat,
Le cri minéral de l’absence rebondit sur le blanc des
murs.
Sur la pointe, comme les
chaussons d’une étoile.
Sur la pointe, comme pour se
hisser vers les lumières de la nuit, immense.
Sur la pointe, pour ne pas
oublier et offrir au regard un soupçon de grâce bordé d’épines,
Des escarpins se racontent.
Combien de Cendrillons ont
perdu leurs souliers ?
Combien de Cendrillons ont perdu leur visage, lacéré, un jour
si différent des autres et qui n’aurait pas dû ?
Combien de Cendrillons pour combien de souliers ?
Combien de souliers pour
savoir qui ? Pour briser l’attente, insupportable ?
La terre a bu le sang,
La terre boit toujours le
sang.
La terre, comme toutes les
mères dans la nature lèche les plaies de ses petits,
Quand le cœur se brise en un
dernier hoquet et que le corps vaincu s’effondre,
Digue rompue, avec le sang la vie s’enfuit.
Comme il est lourd le ciel, du
premier au dernier rayon du soleil, sur la terre en deuil.
Ici sur la pointe, combien de
souliers ?
Ailleurs sur la terre ou bien
dedans, combien de Cendrillons ?
©Adamante Donsimoni (sacem)
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Doris Salcedo Atrabiliarios, 1992-2004, chaussures, mur, bois, fibres animales
Musée d’Art contemporain de Chicago |
Dans les années 1990 marquées par la guerre civile, des Colombiens
s’opposent fermement au gouvernement corrompu et aux cartels de drogue
tout-puissants. La réponse de ces derniers est glaçante : des villages
entiers sont décimés.
Au cours de ses recherches, Salcedo réalise que ces meurtres violents
visent bien souvent des femmes, presque toujours défigurées par leurs
ravisseurs.
Leurs chaussures sont parfois le seul moyen d'identifier les corps.
Doris Salcedo, plasticienne, née en 1958 à Bogota, en Colombie
L'artiste transforme les objets pour qu'ils passent de l'utilitaire au
symbolique. Elle ne se montre que très peu et n'aime pas s'afficher.
“J’aimerais m’effacer”, a-t-elle expliqué lors d’une conférence donnée
le 6 novembre 2006 au Musée national de Colombie. “ Cela ne m’intéresse
pas d’être une figure médiatique. Je ne raconte pas mon expérience
personnelle ; ce qui m’arrive à moi est dénué d’intérêt.”
Sur la pointe des pieds je lis ton texte et je repars émue et les yeux plus ouverts. Merci
RépondreSupprimerCombien de Cendrillons ? Combien de cris, combien de larmes, combien de pas perdus ? J'ose ajouter combien d'espérance aussi que l'humanité marche sur ses deux pieds...
RépondreSupprimerUne page qui m'a interpelée quand je l'ai lue sur celle de l'herbier...
RépondreSupprimerMerci pour toutes ces questions posées à juste titre.
Passe une douce journée.
Que d'émotion dans ce tableau comme dans ton texte qui apporte des questions mais aussi de la désespérance... Le temps passe et la haine des hommes n'est pas éteinte !
RépondreSupprimerdeux jolies chaussures, toutes roses, toutes douces pour parler de la souffrance universelle, et surtout celles des femmes. Terrible ce que tu dis de la Colombie. Que d'horreurs partout!
RépondreSupprimersuperbe texte qui m'a beaucoup émue