Saisir le temps
Ils marchaient dans la rue sans regarder autour d’eux, soucieux d’idées occupant leurs esprits agités. Certains sautillaient, oublieux de l’ancrage, stressés, déracinés, fragiles ; d’autres traînaient leurs semelles comme s’ils voulaient en abandonner une partie au bitume, ceux-là sans doute, épuisés par leur vie, eussent voulu ramper, tracer leur chemin en sous-sol pour se faire oublier ; les enfants quant à eux piaillaient en agitant les bras comme pour chasser ces boisseaux d’ombres émanant de l’univers adulte polluant l’espace.
Moi j’observais la rue, j’en captais les moindres détails. C’est alors qu’une femme tirant un lourd caddie, perdue dans ses pensées, et sans doute pressée de regagner son foyer, me frôla. Elle s’excusa. Nous échangeâmes un sourire puis elle s’éloigna.
Cette halte, à moins que ce ne soit ce sourire, m’entraîna dans une dimension parallèle.
Face à moi, sur le mur d’un ancien garage désaffecté, je le vis surgir. Mais qu’était-il ? Je découvrais un cheval à tête de dragon accompagné d’un moine, sans tête, dont le bras semblait lui interdire mon approche. Je percevais la fougue, voire la rage, lorsque je crus entendre claquer les dents de cet étrange destrier, des dents qui semblaient désireuses de dévorer le monde qui était le mien, ce monde arrivé à épuisement à force de destructions, à force de mépris du naturel.
Je restais là, interdite, ne sachant plus où moi-même je me situais. Avais-je passé une frontière interdimensionnelle ? Et cette vibration exaspérée, face à notre comportement irresponsable, n’indiquait-elle pas, plutôt qu’une menace, le désespoir d’une autre forme de vie plus empreinte de sagesse ?
Étrange sensation que de se perdre dans un espace aussi incertain que celui-ci.
Le vrai le faux - le flou
l’indéfini du temps
vérités multiples
au cœur des no man’s land
tout parait si insaisissable.
Adamante Donsimoni
20 juin 2025 ©sacem
L'Herbier de poésies Page 247