Je viens de terminer une nouvelle de Sylvain Tesson, « les porcs ». J’en ressors bouleversée.
Du titre du livre, habituée aux écrits du grand voyageur, j’imaginais l’aventure, le froid, l’adversité à laquelle on se frotte par défi, comme pour provoquer le désir inavoué du repos, de la lourdeur, du laisser aller, de la flemme qui vous menace, indurée au plus profond du véhicule qu’est le corps. Qu’attendre d’autre de ce titre : « Une vie à coucher dehors » ? Tout sauf ça, sauf à y regarder de plus près avec une vision quelque peu taoïste des choses.
« Les porcs », c’est une lettre, non pas un plaidoyer mais un constat de la désespérance, le désespoir né d’une lente et progressive ouverture des yeux sur les agissements dont nous sommes capables. Un long chemin de l’Être en soi qui se révèle et nous met un jour en face de nos responsabilités, une découverte de la culpabilité, ici celle de ne pas avoir réagi plus tôt, celle qui perturbe les nuits, vous réveille et que vous repoussez au plus loin afin de ne PAS VOIR.
Qui de moi qui écrit, de toi qui lis, peut prétendre ne jamais fermer les yeux ainsi, de peur d’être confronté à sa propre impuissance reflétée dans le miroir ? On dit que les artistes, déclarés plus sensibles, plus empathiques, sont souvent à l’avant-garde des mouvements de contestation. Vraiment ? Il semblerait que dans ce monde binaire à l’extrême, serait-ce dû à la raréfaction du vocabulaire qui induit celle de la capacité d’analyse ? la torpeur se soit répandue dans ce milieu dit éclairé, et que l’individualiste, renforcé par l’ego, y fasse son travail d’anesthésie. Mais de quels artistes parle-t-on ? Artiste, un mot gigogne qui, de toute évidence, ne signifie plus vraiment grand-chose en l’absence de la dimension du cœur.
Le monde se désintègre, les lois de la nature s’écroulent, et pour la plupart d’entre nous, l’immobilisme nous plombe. Et pourtant, si nous prenions conscience de notre pouvoir…
« Il y a eu la première ferme intensive et les autres éleveurs ont emboîté le pas. Ensemble, cela n’aurait pas été difficile de résister. »
Résister à la domination des bureaucrates venus apprendre au « Mangeux d’Terre » (pour paraphraser Gaston Couté) « (…) à transformer le fourrage en viande ». Résister aux mesures infantilisantes et de plus en plus liberticides que l’on nous impose sous prétexte de protection.
Nous acceptons tant de dérives, tant d’atteintes à l’intégrité humaine, tant de mensonges, tant de mépris. La plus grande ferme intensive où se situe-t-elle ? Nous sommes, comme la crevette que l’on fait cuire, dans un bain qui se réchauffe doucement et nous habitue jusqu’à ce qu’il soit trop tard. C’est sans doute par peur de perdre ce qui nous reste que nous plombons notre vie, que nous acceptons l’inacceptable, que nous acceptons la privation de culture à l’heure où l’entrée des musées est gratuite pour les Députés et payante pour la plupart des autres. Nous avons peur de bouger, de dire, de se montrer.
« L’immobilité avait une autre conséquence. Les membres s’atrophiaient (…/…) Parfois, lors des inspections, je me demandais si nous n’étions pas en train de fabriquer une nouvelle race. (…/…) Qui sait si nos descendants ne ressembleront pas à des êtres aux corps mous avec des cortex surdéveloppés… »
Enfermés, nés en captivité, les porcs mordent les barreaux qui les contiennent :
« Les bêtes enfermées avaient certainement la prescience de ce que représentait la liberté. »
Et nous, que mordons-nous ? Ne sommes-nous pas comme ces porcs, animés par cette prescience de ce qu’est réellement la Liberté ? S’émouvoir d’une fleur, de sa beauté, est-ce suffisant pour la préserver ?
Adamante Donsimoni - 24 octobre 2022 ©sacem
Note à propos du titre : le bœuf, le porc, ce n’est plus l’animal, c’est un morceau de viande sous blister.
Il y a tant à dire sur ce que l'homme est devenu... merci, amitiés, JB
RépondreSupprimerRésister aux mesures infantilisantes et de plus en plus liberticides que l’on nous impose sous prétexte de protection.
RépondreSupprimeret chaque jour une nouvelle contrainte... je suis atterrée par l'avenir l'homme deviendra l'esclave de l'intelligence artificielle qui décidera tout.
Que ce regard est sombre et pessimiste, j'ose espérer que l'homme a des ressources insoupçonnées pour réagir...
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