Acrylique Adamante -Tiré du livre le Faiseur d'Accueil Prix Jules Supervielle 2022 de la Société des Poètes Français. |
Grand-Mi
Le feu crépite dans la cheminée. Son souffle accompagne les murmures de la nuit qui parcourent les ombres environnant la campagne.
Dans la vieille maison, tandis que les langues de l’enfer s’agitent sur les bûches, balayée par les lueurs de l’âtre, la vieille pendule semble sommeiller tandis que l’assistance attend religieusement dans la pénombre que Grand-Mi se décide à parler. Tous les regards sont tournés vers Elle, conteuse et doyenne du village. Ici on dit d’Elle que c’est « Celle qui sait » et on la respecte. Elle n’oublie pas Grand-Mi. Elle n’oublie jamais. Ce qui s’est passé avant, ce que lui ont raconté ses grands-parents qui le tenaient eux-mêmes de leurs ancêtres, elle en est la précieuse récipiendaire.
On appelle ça la transmission orale, car au temps des contes, un temps qui remonte à fort loin, ceux du pays ne connaissaient le papier que pour les choses de bien, chez le notaire. Les bibliothèques, c’était pour les riches, pour ceux qui pouvaient envoyer leurs enfants à l’école. Chez eux l’histoire c’était dans la tête qu’elle se conservait, et c’était par le dit qu’elle se transmettait, pas par l’écrit. À chaque génération, c’était à celui qui mémorisait le mieux et qui avait le don de dire que revenait le titre de conteur.
Certes, ceux qui reprenaient le flambeau l’enjolivaient un peu l’histoire quand c’était une histoire d’amour, ou ils la rendaient encore plus redoutable quand elle parlait de bandits de grands chemins ou des Dames blanches qui entraînaient les fêtards avinés dans des limbes d’où ils ne revenaient jamais. Il fallait bien que chacun y mette un peu du sien pour se l’approprier. Mais les histoires poursuivaient leur chemin d’aïeule en aïeule, c’est ainsi qu’elles étaient arrivées jusqu’à Grand-Mi et jusqu’à nous.
« Ouvrez grands vos oreilles tous, et vous aussi les petits car demain c’est vous qui serez en charge de dire et de transmettre. Tant que vous vous souviendrez le pays vivra, oubliez, et il mourra. Mais avec sa mort c’est une part de vous qui disparaîtra, car sachez-le, rien ne peut vivre sans racines »
racine coupée
la tête ploie le corps chute
la flamme s’éteint
malédiction de l’oubli
sans passé pas d’avenir
Adamante Donsimoni – 4 mars 2023
Je vous invite à découvrir la photo de la double page concernée par l'image.
Il y eut beaucoup de fois…
Le fauteuil, avec sa paille usée par les frottements répétés des jupes et
des pantalons, a grincé bien souvent sous les mots des conteurs.
De génération en génération, ils ont ponctué leurs dits des mouvements
de leurs corps. Car le conte prend possession du corps, il est l’enfant en
gestation qui naît à chaque phrase et respire en son souffle.
L’incessant frottement des fessiers accompagnant l’intrigue a patiné la
paille, l’a rongée, l’a tannée, l’a modelée de leur mémoire.
Parfois, quand vient la nuit, à l’heure de la veillée, le fauteuil se
souvient.
Et quand un nouveau conteur prend place entre ses bras usés, il capte
les murmures qui remontent le temps. L’auditoire frémit à l’écoute des
voix qui se mêlent à la sienne.
Il était une fois
Il était une fois
Il était une fois...
L’immortelle sagesse des contes.
Bonsoir Adamante... Voilà qui est bien dit côté contes et conteuses... Une tradition qu'on devrait préserver oralement... Merci, amitiés, JB
RépondreSupprimerTu as raison, il y a pas mal de "mordus" du genre et aussi quelques festivals.
SupprimerBonjour Adamante,
RépondreSupprimerUn recueil à lire et à relire. :)
Une mamie qui raconte de belles histoires le soir avant le coucher. Quelle chance nous avions! Je me demande si ça existe encore dans notre époque tournée vers la technologie tout azimuts!
Amicalement
Martine
Je crois que les époques ont toujours eu des courants divers. Il y a ceux qui n'oublient pas d'où ils viennent et ceux qui ont tout oublié ou ne veulent pas se souvenir. La diversité de la vie est toujours là, peut-être moins affichée en ce qui concerne ceux qui ont plus d'intériorité, mais cela existe, même sur le web.
Supprimerheureux temps de la veillée...que restera t il à l'ère de l'écran !
RépondreSupprimerDes blogs comme les nôtres, des rencontres par l'écrit et le verbe, quelques endroits où l'on peut encore rêver.
SupprimerMa grand mère, Mamée, s'asseyait devant le feu sur son petit chaison que j'ai toujours !
RépondreSupprimerAlors tu entends toujours l'écho de sa voix pour te régaler de ses histoires, même si l'œil est maintenant un peu humide. C'est ça l'amour.
SupprimerComme la transmission orale est importante qui a bercé nos jeunes années!
RépondreSupprimerCes veillées au coin du feu restent encore des images bien vivantes.
Merci pour ton acrylique si inspirante.
Merci beaucoup, Balaline, je suis assez contente de ma petite conteuse. Nous veillons désormais sur la toile, pianotant des doigts et rêvant des mots.
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