C'est un constat terrible qui nous met face à notre
impuissance individuelle dans ce monde où une poignée vit de la misère du plus
grand nombre.
J'ai souvenir d'un vieil homme, près de la gare
d'Austerlitz, il y a déjà quelques années. Il était là, à tendre la main, en
attendant que, pour les automobilistes, le feu passe au vert. À ses pieds, il portait
des charentaises, dans la rue, il pleuvait. Quelle bonté sur son visage, aucune
trace de rancœur, il m’avait émue. Le temps que j'ouvre mon sac pour trouver
quelques pièces dans ce fourbi, le feu est passé au vert. Ça poussait derrière,
l’automobiliste n’est pas patient. Je n'ai pas eu le temps de lui tendre la
main, j'ai embrayé, je suis partie.
Je n'oublierai jamais, ce vieux Monsieur, il aurait pu être
mon grand-père. Cette idée m’est encore insupportable. Il faut si peu pour
qu’un chemin soudain diverge et vous mène à un carrefour, sous un porche,
devant une grande surface, à la rue ; à la rue… brisé, violé, exclu par la
société des hommes.
Cette misère est intolérable et ce n’est certes pas demain,
7 mai 2017, second tour d’une présidentielle entre peste et choléra, qu’un
bulletin, quel qu’il soit dans l’urne, y changera quoi que ce soit !
De façon individuelle, si l’on ne peut donner à tout le
monde, offrir ne serait-ce qu’un sourire c'est déjà partager un peu de notre
humanité.
Il est des sourires inoubliables, glanés comme ça, au hasard
du chemin qui vous accompagnent toute une vie. Qui sait ce qu’ils peuvent faire ces sourires offerts à des
êtres habituellement invisibles ?
Redonner confiance, éviter le gouffre, rompre la solitude,
réveiller l’espoir ?
Faire bifurquer un chemin, pourquoi pas ? Que
savons-nous des ressorts profonds de la vie ? De l’impact d’un peu de
tendresse ?
Alors, luttant contre cette raideur qui nous pousse à baisser
les yeux, à accélérer le pas pour échapper à cette confrontation douloureuse, à
cette culpabilité impuissante, comme si cela était possible, je m’efforce de
ralentir. Je m’oblige à croiser le regard, à sourire et découvrir au fond de
ses yeux l’être qui se meurt derrière la transparence assignée par la société
et peut-être ainsi réussir, l’espace d’un instant, à alléger le poids de la
négation et du rejet.
C’est comme ça qu’un jour, j’ai rencontré l’homme aux
pigeons.
C’est comme ça qu’un jour, j’ai rencontré Giuseppe et je
prends conscience aujourd’hui, en cette veille électorale, que je ne lui ai pas
donné un centime.
Mais quelle rencontre !
Adamante Donsimoni (sacem-billet d'humeur)