Le ciel soudain se relâche, les nuages expirent le trop plein d’un long voyage. Crépitation des larmes venues d’un ailleurs lointain raconter la tristesse aux carreaux de mon bureau.
Quelque part dans le monde des gens meurent, de faim, de froid, d’abandon ; au fond d’un lit d’hôpital, sous les balles d’un assassin, les bombes d’une guerre ; dans un accident, un séisme, une tempête, un naufrage… Il est tant de façons de mourir, tant de façons de léguer la souffrance à ceux qui survivent.
La honte, l’impuissance, le désarroi accompagnent le regard que nous portons sur la mort, car la mort de l’autre est toujours douloureuse.
Un homme, un animal, un arbre, une terre, la destruction d’un être est comme un rêve exhalant son dernier souffle, il s’effondre avec en son dernier regard la lueur de l’incompréhension.
C’est ce regard que m’apporte la pluie ce soir et le carreau me raconte celui de l’éléphant empoisonné pour ses défenses, celui du rhinocéros mourrant de septicémie sa corne tronçonnée, celui du clandestin qui se noie, celui du dealer victime d’un règlement de compte, celui du cancéreux victime de la folie industrielle et des économies de marché, celui de l’enfant soldat privé de rêve, celui du vieillard dont la main orpheline se crispe sur l’absence…
Le vent gémit son impuissance.
Je me sens vide, comme éloignée de moi, égarée ? pas vraiment, lasse ? certainement.
Et pourtant, au travers de ce vide incertain, je perçois comme une sorte de bien-être, une sorte de réalisation nourrie d’abandon. Je sais qu’au fond, sans en comprendre les pas, cette danse absurde est normale. J’expérimente l’usure des galets, l’hypnose. Et tandis que la pluie redouble d’intensité, je perçois, inscrites dans mes chairs, des impressions de pluie qui m’apaisent.
Il n’est plus ni gaieté ni tristesse, je vis un entre deux d’émotion libéré de la pensée et de l’agitation.
Observatrice retirée, la vie, ma vie, toutes ces vies rythmées de morts, sont comme un film qui s’accélère et que j’observe en silence tandis que la pluie s’intensifie et bousculée de vent s’écrase sur les carreaux.
©Adamante (sacem)